PROSÉLYTISME JUIF

PROSÉLYTISME JUIF
PROSÉLYTISME JUIF

PROSÉLYTISME JUIF

«Il n’y a pas, dans l’histoire du judaïsme, au début de l’ère chrétienne, de question plus controversée que celle du prosélytisme» (M. Simon, Verus Israël , Paris, 1948). La controverse dépasse, en réalité, largement ce cadre et met en relief un des caractères essentiels du judaïsme de toujours. Actuellement, on admet assez généralement que, de par sa doctrine même, le judaïsme, religion universaliste, animé d’un vigoureux esprit missionnaire, a exercé, notamment dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, un prosélytisme actif jusqu’au moment où, par suite de la victoire du christianisme devenu religion d’État, il s’est complètement replié sur lui-même. Cette attitude, depuis lors, ne s’est plus démentie. En fait, tous les arguments qu’on a pu avancer et réunir en faveur de cette thèse, s’ils créent une forte présomption, ne suffisent cependant pas à établir la réalité d’une propagande active.

Dans les textes du Talmud et du Midrash, on discerne, à première vue, deux courants opposés, l’un favorable aux conversions, l’autre qui les réprouve. D’un côté, on dit: «Quiconque amène un païen à la connaissance de Dieu, c’est comme s’il l’avait créé» (Beréshit Rabba , 8, 10); ou encore: «Israël n’a été exilé que pour qu’il s’accroisse par les prosélytes» (Pesa‘him , 87). Certains docteurs estiment que les mérites des prosélytes sont supérieurs à ceux d’Israël. Ainsi Rabbi Simon bar Yo‘haï déclarait: «Des justes il est dit qu’ils aiment Dieu, des prosélytes que Dieu les aime: qui donc est le plus grand, celui dont on dit qu’il aime le roi ou celui dont on dit qu’il en est aimé?» (Mekhilta sur Ex., XXII, 20). À propos de nombreux rabbins, on signale comme un titre de gloire qu’ils descendent de prosélytes, tels Chemaïa et Abtalion, Onkelos, Rabbi Méir, Rabbi Akiba... Il y a eu, du reste, à toutes les époques, et particulièrement dans les temps de persécution, de nombreuses conversions, dont certaines retentissantes, notamment celles de la famille royale d’Adiabène au Ier siècle, de toute une tribu berbère au Moyen Âge, de l’archidiacre Bodo sous le règne de Charlemagne, de l’archevêque André de Bari, des Khazars. On voit aussi Rav Achi (Ve s.) se plaindre que la ville de Mata Mahazia, en Babylonie, n’ait jamais fourni aucun prosélyte.

À ces renseignements tirés des sources juives il faut ajouter également des témoignages venus de sources non juives, romaines ou chrétiennes. Juvénal dénonce avec véhémence ceux qui se convertissent. Commentant un verset de Matthieu (XXIII, 15: «Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui parcourez les mers et les terres pour gagner un prosélyte, et, quand vous l’avez gagné, vous le rendez digne de la géhenne deux fois plus que vous!»), Origène signale que le prosélytisme juif est encore très vivace de son temps. À la fin du IVe siècle, on parle d’une vague judaïsante qui déferle sur la communauté chrétienne d’Antioche et que Chrysostome s’efforce d’endiguer. La législation antiprosélytique, enfin, la répétition des lois répressives édictées par l’Église ne témoignent-elles pas aussi de l’existence et de la force d’un prosélytisme juif actif?

En réalité, un examen attentif de tous ces textes prouve simplement qu’à toutes les époques le judaïsme a exercé un très grand rayonnement tant par l’idée monothéiste, la loi morale que, paradoxalement, par l’attrait et le prestige du rite appliqué dans toute sa rigueur. Mais il faut distinguer entre la propagande religieuse active et l’attitude passive des rabbins qui se contentent d’accueillir favorablement les prosélytes sincères lorsqu’ils s’adressent à eux.

Cette réserve rabbinique est déjà confirmée par les textes du Talmud qui désapprouvent les conversions et montrent de la défiance à l’égard des convertis. «Les prosélytes sont aussi pénibles pour Israël que la lèpre pour l’épiderme. [...] Les malheurs s’accumulent sur ceux qui font des prosélytes», disait un Amora du IIIe siècle, Rabbi Helbo (Yebamot , 47 b , 48 b ). Certains voulaient en conclure à l’impossibilité de dégager du Talmud une doctrine uniforme à l’égard des conversions, puisque l’on se trouvait en présence d’une somme d’opinions individuelles, variant selon les dispositions personnelles des docteurs qui les émettaient. Mais, en l’occurrence, la contradiction n’est qu’apparente: le judaïsme accepte avec plaisir les conversions désintéressées, déterminées par une véritable vocation religieuse; mais il condamne celles qui sont fondées sur des mobiles purement humains. «Celui qui se convertit pour des mobiles purement humains ne fait pas partie des vrais prosélytes. [...] Les tribunaux rabbiniques n’ont pas accepté de prosélytes au temps de David et de Salomon; on n’en acceptera pas à l’époque du Messie» (Yebamot , 24 b ).

Cette attitude réticente, sinon négative, à l’égard des conversions s’est inscrite dans les faits et dans la doctrine; elle est restée traditionnelle pendant les deux mille ans de la Diaspora. Le Choul‘han Aroukh ordonne de décourager même les prosélytes sincères, pour n’accepter finalement que les conversions qui signifient une acceptation entière de la T 拏rah et des Mitsvot. Accepter des convertis qui ne s’engageront pas totalement, c’est d’abord compromettre leur propre destinée spirituelle, mais aussi affaiblir la communauté juive. Par ailleurs, au-delà de cet aspect pratique, cette conception s’explique parfaitement bien non pas par le particularisme juif (par un repli sur soi-même), mais, au contraire, par l’universalisme du judaïsme, en vertu duquel «les justes du monde entier ont droit au monde futur» et n’ont donc pas besoin de passer par la Synagogue pour accomplir leur salut. L’Alliance divine avec Noé coexiste avec le don de la Loi à Moïse et à Israël; et la réalisation du rêve prophétique de l’établissement de la royauté du Dieu unique sur terre n’implique nullement l’obligation, pour l’humanité tout entière, de s’imposer le joug de la T 拏rah.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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